XXV, trad. J. Bernard et Ph. Monod, Le Seuil, 1979. On trouve, chez Simone Weil, une critique assez proche, plus accusatrice encore, puisqu'elle désigne cette discipline comme le discours que les vainqueurs portent après coup sur les faits, instituant leur propre apologie comme vérité historique soi-disant objective: « L'histoire est fondée sur les documents. L'histoire est-elle une science ? - Maxicours. Un historien s'interdit par profession les hypothèses qui ne reposent sur rien. En apparence c'est très raisonnable; mais en réalité il s'en faut de beaucoup. Car, comme il y a des trous dans les documents, l'équilibre de la pensée exige que des hypothèses sans fondement soient présentes à l'esprit, à condition que ce soit à ce titre et qu'autour de chaque point il y en ait plusieurs. À plus forte raison faut-il dans les documents lire entre les lignes, se transporter tout entier, avec un oubli total de soi, dans les événements évoqués, attarder très longtemps l'attention sur les petites choses significatives et en discerner toute la signification.
Ignorer la nécessité d'une telle alliance c'est demeurer dans la croyance utopique d'une histoire qui puisse être de part en part objective, bref, d'une histoire qui puisse être réellement scientifique. Conclusion: Nous avons vu que l'histoire partage avec la science la même prétention, elles visent toutes deux la vérité. L histoire est elle une science corrige. T outefois, nombre d'activités visent la vérité sans pour autant relever de la science. Le travail de l'historien peut bien être appuyé par des méthodes scientifiques, il n'en demeure pas moins qu'il revêt une dimension non scientifique. Ainsi lorsqu'il s'agit de faire ressortir le sens du passé, l'historien est tenu de s'appuyer sur des moyens appartenant davantage à l'art. Sa subjectivité ne doit pas être conçue comme un appauvrissement de l'objectivité visée mais comme le seul moyen possible pour supporter celle-ci, pour la traduire et l'exprimer. »
A utrement dit, il n'existe pas de causalité linéaire dans les systèmes complexes, or l'histoire des hommes constitue évidement un système complexe. La reconstitution du passé consiste donc, plus qu'à retrouver objectivement le passé, à déduire un sens à partir d'un minimum d'éléments. Le travail de l'historien consiste à lier des éléments éparpillés en leur donnant une allure, un sens. Selon C ournot l'histoire relève plus de l'art que de la science, en cela que l'historien, pour souligner le sens d'une série de faits passés, doit s'appuyer sur son imagination, convaincre avec son style, bref, suppléer aux ressources scientifiques du dessin (courbes, signes, calculs) par celles de la langue. Il doit donc mettre sa subjectivité au service de l'objectivité, loin que les deux entrent en conflit, elles doivent s'allier le mieux possible. L histoire est elle une science corrigé simple. Paul Ricœur défend cette idée dans Histoire et vérité; une réflexion sur le travail de l'historien permet donc de penser par delà les partages préétablis, ici entre subjectivité et objectivité.