Il y a des textes qu'on porte si naturellement en soi qu'on ne se rend même pas compte de leur importance. On les écrit comme on respire. On les expire plus qu'on ne les compose. Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran fait partie de ceux-là. Ecrit en quelques jours sur un coin de table pour faire plaisir à un ami, il s'imposa à moi sans bruit et sans effort. Jamais je n'aurais pu imaginer qu'il connaîtrait tant de succès ni qu'il ferait le tour du monde; encore moins que dans beaucoup de pays, je deviendrai désormais " l'auteur de Monsieur Ibrahim ". Bruno Abraham-Kremer, ami et comédien, vint passer quelques jours chez moi, dans ma maison irlandaise, après un voyage en Turquie durant lequel il avait marché dans les paysages arides de l'Anatolie, visité des monastères soufistes, tourné avec les derviches pour prier… Il revenait tout imprégné de poèmes mystiques liés à l'Islam. Nous nous sommes mis à parler de Rumi, ce magnifique sage et écrivain, de l'humilité qu'il conseille, de la danse comme une prière.
Aussi je n'ai pas compris très bien quand il disait qu'il « tournait » et je dis qu'on aurait pu expliquer un peu mieux ce passage. Je trouve que le livre est un peu inapproprié, car sur le livre on dit qu'il est allé voir « les putes » et dans l'histoire on dit que monsieur Ibrahim lui donne de l'argent pour faire cela quand dans la vie réelle on devrait faire le contraire et encourager les adolescents à arrêter de faire cela. Le livre est quand même bon et je lui donne une note de 7/10 et je conseille ce livre à tout le public, mais spécialement un public qui aime les histoires de jeunes adolescents.
Le moment de la mort devient même davantage émouvant. J. : Qu'est-ce qui vous a amené à choisir un jeune Juif et un vieux Musulman comme personnages de cette belle rencontre? É. : Je voulais aller contre les idées reçues. Aujourd'hui, à cause du conflit israelo-palestinien, à cause des tensions internationales, on ne parle plus des juifs et des musulmans que comme des ennemis. Or, juifs et musulmans vivent ensemble et s'entendent très bien depuis des siècles! Dans les pays du Maghreb, juifs et musulmans non seulement cohabitent mais se sentent plus proches entre eux que d'un cousin européen. En Occident, dans certains quartiers des grandes villes, comme ces rues parisiennes que j'évoque dans le texte où j'ai moi-même vécu, il y a aussi un vrai voisinage harmonieux, enrichissant, une solidarité qui s'exprime au-delà des différences. C'est pour cela que Momo est juif et monsieur Ibrahim musulman: chacun va apporter le bonheur à l'autre. Ils vont se changer la vie, ils vont se rendre heureux.
A Paris, dans la rue Bleue où se passe cette histoire, une rue que j'ai habitée et qui n'est définitivement pas bleue, résidaient une franche majorité de juifs, quelques chrétiens et des musulmans. Ces citadins partageaient non seulement la rue, mais le quotidien, la joie de vivre, les ennuis, la conversation... Des amitiés ou des sympathies se nouaient entre gens qui venaient d'un peu partout, soit géographiquement, soit spirituellement. Dans ce quartier populaire sous Montmartre, j'avais le sentiment de vivre dans un lieu riche et foisonnant, où les cultures se rencontraient, s'intéressaient les unes aux autres, plaisantaient de leurs différences, comme par exemple le vieux médecin juif qui expliquait à l'épicier musulman qu'il ne fêterait le Ramadan que s'il vivait en Suède, là où il fait nuit dès trois heures de l'après midi. Or l'actualité journaliste ne se fait l'écho qui de ce qui ne va pas, jamais de ce qui fonctionne bien. Ainsi réduit-elle de façon pernicieuse le rapport juif-arabe au conflit israëlo-palestinien, négligeant les plages d'entente et de cohabitation pacifique, accréditant l'idée d'une opposition irrémédiable.